lundi 27 novembre 2006

La Vieille Amie





En voyant les gamins chevelus sortir l'Ami 8 de son abri, il aurait d'abord caréssé sa moustache, passé sa main sur la rape qui lui servait de joue avant d'écraser lourdement sa paume caleuse sur quelques cheveux blancs.
Lentement, posément, il aurait hoché la tête, appuyé le rateau contre le vieux figuier avant de rentrer avaler un bouillon de sauge, quatre feuiiles de laitue empruntées le matin au jardin et de belles pousses de pissenlit glanées ci et là à l'heure où la rosée se faît. Alors, entre deux verres de rouge lui seraient revenues les années de labeur, la dureté de la terre, sa froidure comme son étendue, les sacrifices utiles à telle acquisition.
Seul, dans la cuisine de sa veuve, l'assiette d'un verre grossier posée sur le formica, le bruit du réfrigérateur et le ronron du poéle comblant le silence de la maison vide, il aurait raconté à quiconque aurait pu l'écouter sa fierté, voire sa gloire d'avoir marié nièces et neuveux dans si bel attelage.
Les souvenirs de regards envieux des fermiers alentours, de ses amis de terre et frères de fardeaux viendraient alors adoucir quelques rides, atténuant par une perle d'oeil la force du regard qu'ont les octogénaires qui ont oeuvré aux champs.
Enfin avalant bruyamment quelque crouton largement frotté d'ail, imbibé d'huile d'olive, il aurait tenté d'imager les folies des pitchouns, l'aventure du bolide comme de son cahotique trajet par les pistes défoncées de la Camargue, celle là même sur laquelle il chassait dès il eut ses douze ans.
Sur son petit carré, elle était bien la seule à ne pas, ni bêller, ni piailler, aboyer ou miauler, aucune de ses bêtes n'avait été si sage, chacune ayant grogné à son tour. Sa défunte, même s'était parfois donnée à faire vibrer ses cordes.
Pas elle, cette vieille amie pourtant première oubliée.
Abritée de toles rouillées, devenues, par le temps grincantes et saillantes, calée entre l'établi, le tracteur, et les couteaux d'abbatoir, elle s'était fait son nid. Les toiles d'arraignées, poussières et vieux cartons recouvraient la jute qui lui servait de housse, la princesse cachée vivait en oubliée. Quand bien même chaque jour il s'était souvenu d'un chevreau abbattu, d'un lièvre dépecé ou d'un lapin piégé, elle, il l'avait égarée.
En y reflechissant, roulant son tabac gris sur des moignons gercés, extrayant une quille de champagne sans bulle d'un véritable «Frigidaire», l'ancètre se serait plu à cette renaissance. Tranquillement sans se presser, il aurait fini son gobelet, rincé son auge dans la pile en granit, puis se serait couché convaincu que déjà les mômes seraient rendus sur la plage.
Le Papé n'a eu ces gestes, ni n'a pensé celà, il y a déjà deux étés qu'il a rejoint sa femme. Seule au fond du hangar a survécu l'Ami,

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quel talent !
On s'y plonge avec délice dans cette atmosphère doucement mélancolique à la saveur de moments que l'on aurait aimé connaître.
Elle nous invite à réinventer un univers où l'imaginaire réveille l'écho qui toque à notre âme par le biais de tes mots Rhp.

Je ne vais pas laisser de commentaire partout, il y aurait trop à dire, mais bravo ! et bonne route à ce blog qui sort de l'ordinaire ! ;-)