mardi 28 novembre 2006

Dernier envol






Déjà vingt-cinq minutes qu'elle soutient son crâne hors de l'eau, celui là même qui dégage deux ouvertures larges et béantes partant de la paupière, fuyant en courbes régulières jusqu'à la base de la nuque. Des jets réguliers giclent par sacades de ses plaies. Sa gorge est ouverte de part en part qui laisse sortir des glaires sanguinolantes comparables aux algues sales que l'on ramasse dans les filets quand le vent est à l'Ouest.


Sur mon injonction, les enfants sont rentrés au campement, quelques planches et canisses posées entre deux caravanes calées sur la dune qui nous abritent durant la saison estivale.Il y a plus de quinze ans que cela est ainsi. Tous ont fait leurs premiers pas ici, sur cette plage du bout du monde qui fait face au Nord, à la France, au continent, comme pour mieux affirmer sa différence et pouvoir surveiller son ennemi, le monde moderne et bétonné.


L'eau a rapidement emprunté une couleur rougeâtre, comparable à celle que prennent ciel et mer au coucher du soleil. Le vent fait son chemin. Le type a quelques soubresauts.


Le tee shirt inondé de sang, elle sort de l'eau avec sérénité, droite comme un I malgrè les nombreux apéros et un festin de rois. Ce repas, fruit de notre pêche de la nuit, composé de quelques loups et dorades ainsi que de palourdes, tellines ramassées la veille avait été largement arrosé du sang des terres du Rhône. Derrière elle, la forme inerte dégueule ses tripes dans le golfe, le crâne défoncé et la nuque flottante, les os des membres inférieurs m'apparaissant totalement broyés.

MJ est aide soignante, elle ne sait comment ce type s'est écrasé contre le ponton métallique qui ferme la plage et protège le cabanon famillial.Elle regarde mélancolique les pompiers tenter maladroitement de glisser l'homme sur un brancard et pense à ses patients disparus ces derniers jours.


JP a ramassé le flotteur échoué quelques metres plus loin, l'a mis en évidence sur le toit de sa voiture et parcouru la plage. Cela fait deux ans que je lui ai cédé ce vieil espace qui affiche fièrement ses 400 000 kms. Dans un état lamentable, il avale pourtant la longue piste de sable et de terre, se jouant des ravines et des « empleings ». A la recherche d'un hypothétique personnage pouvant venir se greffer à cette horreur et susceptible de reconnaître ce bout de polyester affublé de peintures hawaiennes, il a klaxonné, invectivé, expliqué...


Les campements de cette sorte de « sportifs » ressemblent aux caravanes des cow-boys lors des attaques indiennes. La passion qu'ils ont pour leur sport dépasse l'entendement, leur matériel semble plus compter que leurs vies ou les notres et personne n'ignore sur quoi l'un flotte, ou ce qu'il a gréé. C'est donc aisément que JP à trouvé un ami du blessé.

L'après midi, le temps passe lentement sous le soleil écrasant du mois d'août, MJ s'est lavée et changée; Voilà bientôt trois heures que l'hélicoptère rouge et jaune vif est posé sur le sable quelques 100 metres derière le campement. L'équipage jovial montre aux enfants ce superbe objet technologique et pose en leur compagnie pour la photographie. Petit à petit l'émotion retombe partiellement.

Dans le fourgon, tout près, les médecins continuent leurs soins et tentent de ranimer ce corps lacéré, ecrasé, broyé. Par écoeurement, ou discrétion, seul est resté près d'eux, l'ami de la victime, à ses pieds jonchent le sable les lambeaux d'une combinaison, traces souillées d'une passionn, d'un goût de liberté.


Chez majorité d'entre nous, au choc et au mutisme qui s'y associe, succède le besoin de parler et d'exprimer cette angoisse cachée durant l'action. S'instaurent alors des débats libérateurs de ces malaises, chacune et chacun y allant de son ananlyse ou de sa prédication.


En début de soirée, l'hirondelle s'envole soulevant le sable et les toiles de tentes. Nous sortons admirer l'engin se perdre dans un ciel arborant d'identiques couleurs. Le fourgon l'a précédé sans même que l'on ne s'en appercoive, l'heure de l'apéro a largement sonné.


Sans nouvelles, au fil des jours, puis de deux hivers, cette journée s' estompe dans nos mémoires.




Les mouettes ont récupéré leur place et quand parfois elles prennent leur envol, nous reviennent des images de cette journée et du type, qui, bien plus tard est venu gauchement en pleurant expliquer à MJ que personne n'aurait l'occasion de la remercier.














1 commentaire:

Anonyme a dit…

Salut Rhp...

C'est un petit monde finalement... On y recroise les même personnes, et on se rend compte qu'on est peut-être passé à coté de quelque chose... J'ignorais que tu avais cette plume, je dois avouer que le forum photo m'ennuyait quand je devais lire les "critiques" émises...Je ne les lisais
pas!
Merci pour ce texte, pour ceux qui ont eux des amis trop épris de liberté, et qui savent ce que ça peut signifier...